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Loi sur le harcèlement scolaire : quel impact un an après ?

Le 2 mars 2023, la loi visant à combattre le harcèlement scolaire a eu un an. Quelles sont les avancées ? Que reste-t-il à mettre en œuvre pour lutter contre ce fléau qui continue de faire des victimes ? L’avis de Valérie Piau, avocate en droit de l’éducation, à l’occasion de la table ronde organisée le 5 avril 2023 à l’Assemblée nationale par le député Erwan Balanant.

« La loi Balanant du 2 mars 2022 sur le harcèlement scolaire est une grande avancée : elle donne le droit à tout élève de suivre une scolarité sans harcèlement. Qui plus est, ce droit est étendu aux élèves de l’enseignement privé et aux étudiants du supérieur. Tous les établissements scolaires et universitaires sont donc appelés à renforcer la prévention, avec une obligation de moyens pour anticiper et traiter les cas de harcèlement.

Par ailleurs, ce cadre introduit un nouveau délit spécifique de harcèlement scolaire, avec des peines pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende en cas de suicide ou de tentative de suicide. Les élèves auteurs de harcèlement peuvent être sanctionnés, mais aussi, les personnels des établissements scolaires ou universitaires.

Pour les parents des victimes de harcèlement, quel est l’impact du nouveau cadre légal ? 

Ce cadre légal est précieux pour les familles. C’est une arme qui peut les aider à déclencher une action auprès de l’établissement scolaire. Toutefois, il faut bien distinguer les deux volets : l’action au pénal n’a pas pour but de faire cesser le harcèlement. C’est à l’établissement de s’en charger et de réagir par des actions immédiates pour protéger l’élève. Le temps du pénal peut être long, un an parfois. La réponse de l’établissement elle, doit se faire dans les 8 jours.

Au fil des mois, je constate que les choses bougent. Avant, dans le privé notamment, les parents s’entendaient souvent dire : « si vous n’êtes pas contents, vous n’avez qu’à changer d’école ! ». Ce n’est plus le cas. Ce nouveau cadre légal a une vertu pédagogique : la loi signifie à tous les acteurs que le harcèlement peut être lourd de conséquences. Même dans les commissariats, on ne considère plus les plaintes pour harcèlement comme de simples broutilles entre élèves. La peur du gendarme, ça agit…

Que reste-t-il à faire pour lutter contre le harcèlement scolaire ?

Je constate qu’il y a encore des manquements dans les attitudes des chefs d’établissements : beaucoup pensent par exemple qu’ils ne sont pas concernés par le cyberharcèlement entre élèves. Par ailleurs, certains n’enclenchent aucune action tant que la procédure pénale engagée par les parents n’a pas abouti. La parole des enfants victimes n’est même pas recueillie. C’est une erreur, car une plainte est totalement indépendante de l’action qu’est tenu d’engager l’établissement après un signalement. 

Il y a aussi un sujet tabou : celui du harcèlement émanant du personnel éducatif.  Il y a quelques années, un rapport de l’inspection générale de l’Education Nationale a révélé ce type d’agissements. Ce rapport fait état de l’omerta. Un rapport du ministère de l’Education nationale intitulé « Brutalités et harcèlements physiques et psychologiques exercés sur des enfants par des personnels du Ministère » met en lumière l’existence d’un tel harcèlement. Ce rapport dénonce le parcours du combattant  pour l’enfant victime et sa famille car la parole de l’enfant est mise en doute. Ce rapport relève également la loi du silence qui règne au sein des établissements scolaires de la part des autres adultes qui ont pu eux-mêmes en être témoins. L’enfant est doublement sanctionné puisqu’après avoir subi un harcèlement, il se trouve contraint de changer d’établissement dans la majeure partie des cas. Ce rapport déplore généralement l’absence de sanction prise par l’Education nationale à l’encontre des personnels incriminés, généralement déplacés dans un autre établissement scolaire, sauf dans les cas dans lesquels ils ont fait l’objet d’une condamnation pénale. Or, tous les comportements de harcèlement ne donnent pas lieu à une plainte de la part de l’enfant et de sa famille. Cependant, tous les comportements de harcèlement à l’encontre d’un enfant devraient donner lieu à réaction de la part de l’Education nationale en cas de manquements aux règles déontologiques et professionnelles applicables aux personnels de l’Education nationale.

Depuis la loi de 2022, le Défenseur des Droits est intervenu sur la question du harcèlement scolaire causé par des professionnels de l’éducation. Par exemple, en préconisant la mise en place d’une procédure interne de traitement des difficultés relatives au comportement d’un adulte à l’égard d’élèves. Selon moi, en cas de signalement, il faudrait qu’une enquête interne soit déclenchée et que l’inspection générale de l’éducation nationale puisse être saisie par les jeunes témoins ou victimes. Ce type d’action permettant de protéger les enfants, sans aller nécessairement au pénal. C’est en tout cas dans l’intérêt de l’établissement de veiller à l’équilibre de ces enseignants qui se trouvent parfois en souffrance psychique. Tout en répondant à l’obligation juridique de protéger les enfants. Malheureusement, dans la réalité, il y a encore du chemin à faire. Je vois régulièrement des parents qui me consultent à ce sujet, dépités. J’ai actuellement le cas d’un enfant dys qui se fait constamment traiter de « boulet » par son enseignant. La famille est montée au créneau auprès du directeur de l’école, mais rien ne bouge. »

Textes de loi et références :

Le député Erwan Balanant et Maître Valérie Piau, lors de la table ronde organisée le 5 avril 2023 à l’Assemblée Nationale.